2015, la Langue des Signes sur petits et grands écrans

Rappelons que 10 ans après la loi de 2005, les services publics sont loin de se rendre tous accessibles. Les journaux TV et les questions aux gouvernements se partagent de courtes plages horaires avec interprètes dans de petits médaillons. Peu visibles mais l’intention y est, ce qui n’était pas nécessairement le cas pour les émissions de danse Got to danse sur TMC ou Danse avec les stars sur TF1 , dans lesquelles concouraient des Sourds. En effet, la caméra ne faisait que balayer furtivement l’image de l’interprète en train de signer, ce qui permettait certes aux participants de suivre simultanément les verdicts des juges, mais quid des spectateurs sourds ? Seul le jeu Harry sur France 3 permettait aux spectateurs de suivre l’intégralité de l’émission en Langue des Signes grâce au cadrage centré sur l’interprète.
La situation évolue, lentement… et en ce qui concerne l’urgence, la dernière minute, tout reste à faire. La preuve en est, dernièrement, lors des attentats de novembre (et de janvier également), aucune journal spécial ne s’est rendu accessible, hormis l’allocution du président au congrès de Versailles du lundi 16 novembre. Un tollé qui rend amer la communauté Sourde.
Pour autant, face au vide d’informations accessibles et à l’urgence de la situation, un groupe de journalistes sourds engagés, s’est donné pour mission d’informer les oubliés de l’information en direct. Ainsi le groupe à créé une page Facebook : Fusillade à Paris en direct LSF, sur laquelle il poste des vidéos d’information en Langue des Signes. C’est la même équipe qui, quelques semaines plus tard, s’engage sous le même format, à informer les sourds sur les enjeux de la Grande Conférence pour le climat, la COP 21. Une initiative qu’on ne peut que soutenir et encourager, avec l’espoir qu’elle soit relayée et prise en main par les pouvoirs publics.
Du côté des grands écrans, la Langue des Signes s’est aussi rendue visible cette année. Bilan rétrospectif et subjectif sur les films à l’affiche dans nos cinémas. Il y en a pour tous les goûts, tous les âges et toutes les sensibilités.


The Tribes
Déjà fin 2014, The Tribes, un drame néerlando-ukrainien bouleverse les codes du cinéma, et propose l’histoire sombre d’un pensionnat pour jeunes sourds en Ukraine. La Langue des Signes ukrainienne non sous-titrées amène le spectateur à plonger dans un univers inconnu, à aller chercher le sens au cœur des signes, des expressions et des regards. On suit alors la vie de Sergey dernier arrivé de l’internat, qui découvre malgré lui les lois officieuses du pensionnat. Prostitution, trafic, violence sont le lot quotidien contre lequel Sergey doit se battre. Troublant, ce film est une expérience à vivre à condition de ne pas être trop sensible, moins de 16 ans, s’abstenir.

Marie Heurtin
Dans un tout autre genre, Marie Heurtin le drame réalisé par Jean Pierre Améris s’inspire d’une histoire vraie. Celle d’une jeune fille née sourdaveugle à la fin du 19e siècle, placée en pensionnat chez les sœurs par son père artisan, dépassé par son éducation. C’est sœur Marguerite, jouée par Isabelle Carré, qui prendra en charge l’éducation de Marie Heurtin, faisant écho à l’histoire des américaines Ann Sulivan et Helen Keller. Patience et détermination la feront rompre avec son isolement et feront entrer la jeune fille dans le langage grâce à la Langue des Signes tactile. Un thème méconnu pour un combat toujours actuel, c’est l’un des choix du réalisateur qui s’est aussi battu pour que chaque séance soit sous-titrées en bonne et due forme.

La famille Bélier
En 2015, sept millions et demi de français ont découvert les aventures de La Famille Bélier, réalisé par Eric Lartigo. Si cette comédie familiale a au moins le mérite de faire vivre la Langue des Signes sur grand écran, il n’en demeure pas moins qu’elle reste décriée par les critiques de la communauté Sourde. Des acteurs entendant, grands débutants de la LSF, dans le rôle de Sourds signant ; des personnages aux traits caricaturaux ; des projections pas toujours sous-titrées… Le bilan reste mitigé pour une grande partie de spectateurs aguerris mais qui ravit les fans de comédies à la française et de Michel Sardou.

J’avancerai vers toi avec les yeux d’un Sourd
Et enfin, 2015 s’acheve avec le film documentaire de Laetitia Carton J’avancerai vers toi avec les yeux d’un Sourd. Dix ans de tournage ont été nécessaires et exploités par la réalisatrice pour mettre à l’écran l’évolution de la communauté Sourde militante depuis la mort de son ami Vincent, jeune sourd, comédien, originaire de Clermont-Ferrand. A la manière d’une lettre intime à son ami, on entre dans les vies familiales, professionnelles, citoyennes et artistiques de plusieurs figures sourdes qui militent à leur façon pour leur avenir et celui de leurs enfants. Chacun livre une part de sa vie passée ou actuelle, directement en Langue des Signes, et apporte sa vision du quotidien dans une société audivonormée. Du collectif OSS 2007 et le Siècle Sourd en Marche aux classes bilingues, de la poésie de Levent Beskardès aux discours d’Emmanuelle Laborit, les séquences se succèdent dans une perspective diachronique. La parole est libre et chargée. Le projet initialement pensé à deux se transforme en long métrage aussi intime que public. Une jolie promotion de la Langue des Signes et de l’identité Sourde bilingue, biculturelle et militante aux parcours pluriels.
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